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Le 19 mars 1946: la décolonisation des Outre-mers dans les textes
19 mars 2012

Penser au 19 mars pour repenser La Réunion


Les décennies qui ont succédé aux mouvements massifs de décolonisation partout dans le monde ont été marquées par la nécessité de reconnaître l’importance des lois mémorielles, par respect vis-à-vis des peuples opprimés. Un proverbe dit « celui qui ignore son passé est condamné à le revivre ».

De ces lois mémorielles sont par exemple nés le 20 décembre et le 10 mai, dates locale et nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière.

Pourtant, notre histoire est marquée par une autre grande date : le 19 mars 1946 ; qui marque la fin du statut colonial à La Réunion.

La loi du 19 mars 1946 dispose en effet dans son article premier : « Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française sont érigées en Départements français ». Cette date demeure peu connue et non célébrée dans nos anciennes colonies.

Or, 1946, c’était hier. L’île était alors ravagée par la famine et les épidémies. L’esclavage, pourtant aboli depuis 1848, prenait d’autres formes : les propriétaires terriens profitaient pleinement du statut quo colonial, en n’ayant ni à payer d’impôts, ni à respecter le code du travail. L’accès aux soins demeurait un privilège réservé à ceux qui avaient les moyens de payer. Cette situation était intenable pour Gaston de Monnerville en Guyane, Léopold Bissol et Aimé Césaire en Martinique, Raymond Vergès et Léon de Lepervanche à La Réunion. Pour ces combattants de la liberté et de l’égalité, sortir du statut colonial était devenu une nécessité impérieuse.  Cesser d’être un réservoir de richesse humain, économique, stratégique pour devenir des citoyens à part entière, avec les mêmes droits économiques et sociaux. Voilà quelles étaient leur ambition. Et pour cause, 1946 était l’année où les membres de l’Assemblée constituante avait pour tâche de rédiger une nouvelle Constitution pour la France. En réaction aux horreurs perpétrées durant la 2ème Guerre mondiale, cette Constitution se voulait profondément respectueuse et protectrice des droits humains : santé, éducation justice pour tous ; et correctrice des inégalités à travers la résurgence des idéaux des Lumières.

Cette loi du 19 mars 1946, qui érige les anciennes colonies en Départements a apporté des réponses immédiates à la misère quotidienne dans les quatre colonies : Assurance Médicale Gratuite, école gratuite et obligatoire pour tous, elle a profondément transformé les structures socio-économiques de l’île. Elle n’a bien évidemment pas tout réglé- notamment les inégalités édifiantes nées du régime esclavagiste puis colonial… Quant à l’égalité sociale qu’elle promettait dès le 1er janvier 1947, elle a dû être arrachée après des décennies d’âpres combats menés par une autre génération de combattants ultramarins de l’Egalité.

Alors que l’abolition de l’esclavage est né d’un décret venu de l’Hexagone, la loi abolissant le statut colonial a été portée et défendue par nos parlementaires ultramarins.  Si le système issu de cette loi a connu des contradictions et des limites, il a été, dans sa globalité, à l’origine d’importants progrès. L’esprit de nos parlementaires était nourri par un idéal de justice et d’émancipation. Conjugué à l’extrême misère dans laquelle était plongée l’île, cette loi était le seul véritable levier de l’époque pour remédier à la situation d’urgence qui était la nôtre. En 1946, la loi de décolonisation et l’intégration à la République étaient le seul espoir viable de voir les Réunionnais sortir de la misère et des révoltantes inégalités qui les rongeaient. Mais elle a nourri beaucoup de déception. Pour Aimé Césaire, il s’agissait d’ « un marché de dupes, la départementalisation n’était qu’une nouvelle forme de domination » ; pour Paul Vergès, cette loi constitue « une première partie de décolonisation ».  Pour beaucoup, la domination n’a pas totalement disparu même si elle a changé de nom. Le manque de prise en compte des spécificités et atouts ultramarins dans les politiques menées, le maintien des monopoles, la vie chère, taux d’illettrisme important chez des jeunes issus du système scolaire républicain, compte tenu de la non prise en compte de l’importance de l’usage de la langue créole, taux de chômage insoutenable chez les jeunes, compte tenu de notre transition démographique, etc…. Comment peut-on prétendre vouloir résoudre un problème quand on n’a jamais pris le temps d’essayer de l’identifier et d’analyser ses causes profondes ? La domination, aujourd’hui, demeure dans l’opacité et les œillères auxquels se heurte un nombre croissant de signaux de détresse (COSPAR, LKP, crises sociales, mais aussi sanitaires telles que l’épidémie de chikungunya), elle demeure aussi dans la tentative effrénée de calquer des solutions nationales sur des problématiques locales spécifiques ; et, face à l’échec, feindre de maîtriser la situation en usant de l’oppression.  En 1946, nos parlementaires ultra marins et Réunionnais épousaient le rêve d’une Réunion nouvelle, d’une Réunion libérée de la misère et du joug colonial. Le système qui est né de cette loi a apporté d’importants progrès sanitaires, sociaux, éducatifs. Mais son manque d’adaptation à la réalité locale pointe ses limites. Nos problèmes actuels sont trop graves pour que nous nous permettions de persister dans la stagnation et de nous égarer dans l’impasse.

Nous sommes une entité originale, et c’est dans cette voie qu’il faut désormais persévérer. Nous devons prendre conscience de nous-mêmes, de notre identité, et établir avec la France, des liens nouveaux, basés sur l’amitié et la solidarité et non sur la domination. Il faut définir une politique de dialogue et non d’oppression ; préparer un avenir d’ouverture avec notre environnement régional, mais aussi mondial. Nous disposons d’une richesse géographique, marine, maritime infinie. Nous pouvons devenir le point de départ d’une nouvelle façon de concevoir le développement. Nous devons exploiter nos atouts et nos richesses, et parmi elles, l’immensité et la diversité des talents de notre jeunesse.

Nous pouvons être le point de départ de notre développement. Comme en 1946, la revendication d’une ère nouvelle en 2012 pourrait être institutionnelle. Disposer des moyens de notre développement, voilà une des dernières revendications que l’on pourrait adresser à Paris. Car désormais, le vrai champ de bataille se situe dans la tête des Réunionnaises et des Réunionnais. Décoloniser les esprits, pour une politique réunionnaise de développement solidaire et responsable.

Emilie Assati

 

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Commentaires
Le 19 mars 1946: la décolonisation des Outre-mers dans les textes
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Le 19 mars 1946: la décolonisation des Outre-mers dans les textes
  • La loi du 19 mars 1946 est la loi qui a mis fin au statut colonial en Guadeloupe, Martinique, Guyane et à La Réunion en les érigeant au rang de Départements français. Après un siècle de colonisation, l'émancipation passait par le combat pour l'Egalité...
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